Au temps de nos grands-parents, les légumes étaient dans le jardin et l’épicerie du village proposait des produits locaux, vendus par les agriculteurs du territoire.
Et puis en 1949, en Bretagne, à Landerneau, Édouard Leclerc ouvre son premier magasin centré sur un modèle d’achat et de distribution en gros. Un modèle qui lui permet rapidement de proposer des produits 30% moins chers que ses concurrents et de pouvoir élargir son offre petit à petit. Il invente ainsi les premiers « centres de distribution » qui vont révolutionner le monde du commerce. L’initiative est accueillie favorablement par les Français et des « Leclerc » commencent à émerger un peu partout sur le territoire.
En 1965, l’entrepreneur change d’échelle et ouvre son premier Supermarché. Nous sommes à l’aube des 30 glorieuses et une nouvelle ère débute : celle de la consommation de masse. Dans le sillon des premiers magasins Leclerc, de nombreuses enseignes de grande distribution apparaissent, proposant sans cesse de nouveaux produits. Le « tout accessible au même endroit » est né !
À côté des rayons des fruits et légumes arrivent des produits manufacturés issus des industries agroalimentaires, des téléviseurs, des vêtements, des téléphones… Et pour continuer de pouvoir acheter, on invente le pouvoir d’achat pour vous proposer toujours plus de produits à acheter.
Dans les années 1960, la part de l’alimentaire dans les dépenses des Français passe ainsi de 50% à 35%. Elle est d’environ 20% aujourd’hui. L’alimentation s’est industrialisée, on a cassé les coûts de production—à commencer par le salaire des agriculteurs. On a artificialisé, ajouté des conservateurs, des correcteurs de goût, tous ces Exxx qui permettent d’oublier le vrai prix d’un kilo de tomates.
Cette idée de proposer toujours plus de produits toujours moins chers finit par amener son lot de dérives et met en lumière les limites d’un système en crise depuis quelques années : des crises sanitaires emblématiques (vache folle, lait contaminé à la salmonelle, viande de cheval à la place du boeuf) auxquelles s’ajoutent aujourd’hui des préoccupations environnementales.
Au début des années 2010, 6 Français sur 10 ne font plus confiance aux enseignes de grande distribution (1).
Un constat que nous avons nous aussi partagé. Et comme beaucoup d’entre vous, nous nous sommes penchés sur les alternatives qui pouvaient exister. Le plus évident : « c’était mieux avant ! ». Revenir au modèle du circuit court, de la vente directe, celui de nos grands-parents. Un modèle qui fonctionnait à l’époque.
Alors pourquoi pas aujourd’hui ?
Le circuit court (2) c’est le modèle qui refait surface depuis une dizaine d’années et qui est aujourd’hui plébiscité par une majorité de Français. Ils sont 76% à consommer des produits de leur région au moins une fois par mois et 44% à le faire au moins une fois par semaine (3).
Prendre le contrepied de la mondialisation et de la grande distribution, la consommation locale, via les circuits courts, offre une alternative séduisante à bien des égards ! Sur le papier, le modèle offre d’ailleurs tellement d’avantages qu’on pourrait croire qu’il est idéal.
Idéal sur le plan environnemental parce qu’il soutient une agriculture urbaine et périurbaine qui permet de remettre de la nature en ville et de lutter contre l’artificialisation des sols.
Idéal aussi puisqu’il réduit le gaspillage via la vente de fruits et légumes moches et hors calibres et qu’ils limitent l’utilisation d’emballages et de plastique.
Idéal encore car il permet de sécuriser certaines filières, de valoriser les terroirs et les métiers agricoles, de créer de l’emploi local et de garantir un meilleur revenu aux agriculteurs.
Idéal car il permet de recréer du lien entre le consommateur et les agriculteurs. Cerise sur le gâteau, en cas de crise—comme c’est le cas en ce moment—les circuits courts rassurent les consommateurs.
Bref, n’en jetez plus et arrêtez de vous creuser la tête au sujet de la transition alimentaire : des circuits courts et du local pour tout le monde et le problème est réglé !
Pourtant, est-ce qu’on peut vraiment tout consommer local aujourd’hui ? La question n’est pas vite répondue. Chez Promus, pour avoir un peu creusé le sujet ces dernières années, nous avons constaté 4 grandes limites :
D’abord, il y a la question de la localité.
Par souci de cohérence, les circuits courts incluent une notion de proximité géographique. Mais, on ne peut pas tout produire localement. C’est vrai pour le café, les mangues ou les amandes mais aussi pour tout un tas d’autres produits. On ne fabrique pas beaucoup de reblochon en Bretagne par exemple...
Et puis on ne peut pas non plus tout vendre uniquement en local. Nous avons, en France, le bonheur de produire plus de 1200 variétés de fromages (4) et plus de 3000 vins différents (5)… Deux filières d’excellence dont le modèle économique repose sur l’export !
Il y a aussi la question des capacités de production de chaque territoire avec des risques de rupture sur certains aliments ou, à l’inverse, de trop grandes quantités proposées qui ne seraient pas consommées.
Ce qui pose aussi la question de nos habitudes.
Un point qu’on a tendance à sous-estimer. Nous pouvons aujourd’hui trouver à peu près tout ce que l’on souhaite, tout le temps. Sommes nous vraiment prêts à modifier nos comportements de manière un peu brutale pour consommer local ? Abandonner les bananes et l’ananas ? Au revoir les raclettes ? Pas si simple.
Ensuite, il y a la question environnementale.
Parce que les circuits courts ne sont pas toujours plus écologiques que les circuits traditionnels. Au-delà du mode de distribution, c’est surtout le mode de production qui dicte l’impact environnemental de notre alimentation. Par exemple, une salade produite sous serre chauffée en plein hiver aura une empreinte carbone plus élevée que le même légume importé d’Espagne où il est cultivé en plein air.
C’est la même chose avec les transports. On peut imaginer que, plus le producteur est proche du client, plus l’impact du transport est faible. Et bien ce n’est pas systématiquement vrai. La logistique des circuits traditionnels (comprenez ceux de votre supermarché) est organisée, optimisée, pour transporter de gros volumes. Pour faire court, plus il y a de tomates dans le camion, plus l’impact du transport d’une tomate est faible !
Enfin, il y a un vrai sujet d’organisation et de coûts.
Pour faire simple, le métier d’un agriculteur, ça n’est pas de stocker, préparer, emballer et livrer ses produits un peu partout. Que ce soit d’un point de vue logistique, commercial ou administratif, la vente en circuit court représente une somme de travail supplémentaire importante pour les producteurs. La rentabilité des circuits courts, pour les producteurs, n’est donc pas assurée sur tous les produits.
Pour toutes ces raisons, chez Promus, nous en sommes venus à nous interroger sur la notion même de circuit court. Quel modèle peut pallier ces limites sans renier l’importance et l’intérêt de soutenir les territoires et les productions locales ?
Pour que cela fonctionne, nous pensons qu’il faut d’abord s’appuyer et capitaliser sur les aspects positifs du système existant. En matière d’organisation et d’efficacité, les circuits traditionnels proposent des atouts indéniables. Nous serons plus efficaces à adapter le système actuel plutôt qu’à chercher une manière d’en recréer un nouveau.
Au vue de cela, nous avons choisi d’agir sur ces 3 points clés :
1. Relocaliser la prise de décision
Pendant le confinement, nous avons été contactés par des grandes surfaces qui ne pouvaient pas faire rentrer des producteurs d’à côté, malgré leur bonne volonté. Pourquoi ? Les validations des fournisseurs étaient gérées en central. Le temps de faire les allers-retours, les stocks étaient perdus.
Il faut recenser, qualifier et partager les informations sur l’offre et la demande. Ce n’est pas un travail qui peut se faire seul, c’est pourquoi nous travaillons avec les Chambres d’agriculture d’un côté et les syndicats et organisations de restaurateurs de l’autre.
Ce sont des acteurs locaux, qui connaissent leurs adhérents et leurs besoins.
2. Équiper les acteurs
Une fois qu’on sait ce qui est disponible où, et qui a besoin de quoi, il faut acheminer les produits. Toute l’efficacité de la grande distribution tient à l’optimisation des trajets, le maximum de produits dans le minimum de camion. Problème pour les circuits courts : chaque réseau et chaque producteur s’organise dans son coin. Ils multiplient les petits trajets avec des camionnettes rarement remplies et reviennent complètement à vide.
Depuis 2017, nous déployons des mini-chambres froides au plus près des producteurs, les PromusBoxs (6). Autonomes, les producteurs diminuent leur temps sur la route. Nous organisons ensuite une seule tournée pour livrer tous leurs clients.
Moins d’erreurs, moins de temps nécessaire, pour moins cher.
3. Investir dans le territoire
Il faut que chacun soit rémunéré à sa juste valeur. L’argument des circuits courts est que le producteur gagne mieux sa vie. C’est vrai, mais rapporté au travail nécessaire, le taux horaire reste très bas. En offrant un service clé en main, nous leur permettons de toucher 10% de plus que s’ils s’occupaient chacun de tout, tout seul.
Alors, mort aux intermédiaires ?
Non, ne soyons pas nostalgiques des jardins de nos grands-parents. Les outils modernes nous permettent d’optimiser et de réduire les chaînes d’approvisionnement, pour à la fois garantir des revenus justes aux producteurs tout en offrant des produits locaux 10% moins chers à leurs clients.